Pour continuer à vous faire découvrir la biodiversité sud-américaine, nous voudrions vous présenter les fourmis champignonnistes.
Elles sont connues sous différents noms, fourmis coupeuses de feuilles, fourmis surfeuses ou encore fourmis parasol. La majorité d’entre-elles vivent en Amazonie. On a choisi de consacrer un article à ces insectes car leur société est passionnante mais aussi parce que ce sont les seuls animaux avec les Hommes à avoir recours à l’agriculture.
Cet article est plus long qu’à notre habitude mais cet insecte est tellement fabuleux, qu’il est difficile de faire court. Et encore, ce que nous vous présentons ici n’est qu’une partie des connaissances fabuleuses que nous avons sur cet animal.
(Image d’illustration de tête d’article : Atta cephalotes en train de transporter une feuille coupée au Costa Rica, Par © Hans Hillewaert, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=7809642)
Généralités sur les fourmis
On estime le nombre de fourmis à 10 millions de milliards d’individus. 12000 espèces ont été identifiées à ce jour, on en trouve de nouvelles de manière régulière. Leur biomasse est 4 fois supérieure à la biomasse des vertébrés terrestres réunis. En Malaisie on a compté 40 espèces sur un seul mètre carré, en Amazonie 72 espèces sur un seul arbre. Les fourmis ont investi tous les milieux climatiques.
Les fourmis passent par 3 stades avant de devenir adulte : l’œuf, la larve puis la nymphe. Ces trois stades forment le couvain et sera entretenu par les ouvrières. Lorsqu’un œuf est fécondé il engendrera une femelle et un mâle s’il ne l’est pas.
Les fourmis ont 2 réservoirs à nourriture. Leur nourriture personnelle passe dans leur estomac mais elles ont aussi un jabot social où elles stockent de la nourriture prête à être donné à une congénère.
Elles peuvent se défendre en mordant, piquant avec un aiguillon, en projetant de l’acide formique ou en projetant une substance qui englue son adversaire.
Les fourmis communiquent en majorité grâce à des produits chimiques, les phéromones.
Les fourmis ne sont pas guidées pour exécuter une action. Leur système de communication rend chaque mini décision ou mini avancée profitable aux autres. On parle d’intelligence collective. Toutes ensembles, elles agissent comme un unique super organisme.
Atta sexdens (une des espèces de fourmis champignonnistes) au travail
Source : Dinkum / CC BY-SA (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)
Caractéristiques de la fourmi champignonniste
On en dénombre 190 espèces toutes présentes dans les Amériques. On en trouve de l’extrême sud des Etats Unis jusqu’au nord de l’Argentine. Elles sont très communes en Amazonie.
Elles sont caractérisées par de puissantes mandibules, capable de trancher les feuilles les plus épaisses.
Selon les espèces, les colonies peuvent abriter de quelques centaines à 8 millions d’individus.
Ces espèces de fourmis ont recours à l’agriculture pour se nourrir. En effet, elles ne consomment pas les feuilles qu’elles coupent mais s’en servent de support organique pour cultiver le champignon dont elles se nourrissent. Elles ne font pas de distinction et peuvent couper les feuilles d’un arbre sain ou tombé au sol. Une fois le bout de feuille coupé, il est ramené dans la fourmilière où il est coupé en plus petits morceaux puis mélangé avec des excréments avant de servir de support. Les fourmis ont une relation symbiotique avec le champignon qu’elles consomment car il ne pousse que dans leurs colonies.
Les fourmis se concentrent sur une espèce ou une essence d’arbre pour un certain temps, ensuite elles en choisissent un(e) autre et dédaignent le précédent, et ainsi de suite. De cette manière, elles ne surexploitent pas les espèces végétales qu’elles utilisent.
Les ouvrières Atta colombica en train de dépouiller une feuille entière
Par Christian R. Linder — Source: own photo, Barro Colorado Island, Panama (1999), CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=58335
Les castes
Les fourmis ont un système de castes, chacune a un rôle bien précis dans leur société. La fourmilière ne contient que des femelles non fécondes, à l’exception de la reine. Ce qu’on appelle communément les fourmis volantes sont les individus féconds de la colonie. Ils s’accouplent dans de gros nuages. L’unique rôle des mâles est l’essaimage, c’est-à-dire la fondation de nouvelles colonies. Ils ne sont conçus qu’une fois par an et s’accouplent autant qu’ils le peuvent puis meurent faute de savoir se nourrir seuls ou d’épuisement après avoir fécondés les futures reines.
On dénombre 4 castes d’ouvrières chez les champignonnistes, les minima, intermedia, maxima et les soldats. Chacune a un rôle bien précis et des compétences adaptées à leur travail. Les minima s’occupent de cultiver le champignon à proprement parler, de prendre soin des œufs et d’élever les larves pendant que les intermedia transportent les feuilles coupées par les maxima. Les soldates sont beaucoup plus grosses que les autres, environ 300 fois plus lourdes. Elles représentent 2% de la population totale de la colonie.
Il n’y a qu’une seule reine par colonie, celle-ci peut vivre entre 15 et 40 ans et pondre le chiffre incroyable de 150 millions d’œufs dans sa vie. Lors du vol nuptial, elle va stocker une importante quantité de sperme dans une poche. C’est avec ce seul apport qu’elle va pondre toute sa vie.
A gauche, 7 ouvrières Atta cephalotes, des différentes castes et à droite, 2 reines de la même espèce
Par derivative work: GameKeeperAtta.cephalotes.gamut.jpg: Sarefo — Atta.cephalotes.gamut.jpg, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=4180394
Comment se forme une colonie ?
Fonder une nouvelle colonie est une tâche ardue qui dépend largement de la reine (fécondité, efficacité, rapidité à trouver un endroit adéquat) mais aussi de paramètres extérieurs comme la température extérieure, d’éventuelles avaries (pluie qui détruit la fondation), la présence de prédateur mais aussi de la qualité du champignon mis dans le jabot de la reine à la naissance. On estime que sur 1000 femelles, seulement 2 ou 3 créeront une nouvelle société et que 2 à 3% seront encore présente après 3 mois.
Une fois fécondée, la reine se rend au sol, se libère de ses ailes puis recherche un endroit adéquat pour fonder la colonie. La reine détient un échantillon de champignon que les ouvrières lui ont remis avant qu’elle ne sorte de la fourmilière pour s’accoupler. C’est grâce à cette minuscule portion qu’elle va pouvoir commencer son travail, cultiver le champignon étant la première étape.
La reine se creuse une petite loge dans la terre, souvent proche de petites racines d’arbres source de matières organique. Elle régurgite alors son échantillon de champignon et le fertilise avec des gouttelettes de déjection fécales et des morceaux de matière organique. Lorsque grâce à ses soins constants, le champignon est bien implanté, elle pond alors une vingtaine d’œufs. Elle prend soin et nourrit ses larves avec le champignon jusqu’à leur maturité, elle-même ne mangeant pas pendant tout ce temps.
Les premières ouvrières nées prennent en charge la culture du champignon et les soins aux œufs et larves. Quelques jours après leur naissance, elles creusent une ouverture et partent explorer leur futur territoire, commençant leur travail de sape de récolte et d’acheminement de matière végétale. A partir de là, la colonie peut commencer à grossir, de même que le champignon. Les ouvrières excavent le sol autour du champignon lorsque celui-ci grandit. La loge initiale s’est transformée en la première chambre de la colonie. Quand le champignon atteint une taille suffisante, les fourmis peuvent commencer à creuser une deuxième chambre.
Les nouvelles chambres suivent le même schéma que la première. Elles commencent par une petite loge et grandissent en même temps que le champignon. Un extrait de champignon d’une autre chambre sert de base pour la culture, le champignon est ensuite cultivé comme s’il était indépendant. A chaque fois qu’une chambre/le champignon atteint une taille suffisante, les ouvrières entament la construction d’une nouvelle. Après quelques dizaines de chambres, les fourmis en entament plusieurs nouvelles simultanément. Pendant tout ce temps, la reine pond au maximum de ses possibilités et l’évolution de la colonie est exponentielle.
Les fourmis et le champignon vivent en symbiose. La taille de la colonie dépend de la taille du champignon donc de la nourriture disponible tout comme la taille du champignon dépend de la taille de la colonie qui le cultive. Pour que le champignon grandisse bien, il lui faut des conditions optimales de température et d’humidité adéquate. En bonnes architectes, les fourmis maîtrisent cela et construisent des aérations par des cheminées. Cela leur permet de créer artificiellement ces conditions. Les cultures de champignons produisent de grandes quantités de dioxyde de carbone, ce gaz mortel est évacué par certaines cheminées pendant d’autres aspirent de l’air frais. Il existe des chambres spéciales où les fourmis entreposent les déchets de leurs jardins, ce tas d’ordures est primordial car il maintient le sous-sol du nid à température tiède. De plus, c’est la différence de température entre ces chambres et les autres qui crée la circulation d’air. Enfin, les fourmis cultivent aussi un antibiotique, toute matière qui rentre dans le nid est traité par ces antibiotiques, la bonne santé du champignon équivalent à la survie de la colonie.
Atta texana en sur son champignon
Par Insects Unlocked — Texas Leafcutter Ant (Formicidae, Atta texana), CC0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=61276066
Comportements incroyables chez d’autres espèces
On vient de voir que les fourmis sont capables d’avoir recours à l’agriculture et pouvaient créer artificiellement un climat. Cependant, elles sont aussi capables d’autres comportements tout aussi évolués. On peut d’ailleurs les comparer aux hommes sur de nombreux points, ces deux espèces étant pour sûr celles qui se sont le mieux adaptées grâce à leur sociabilité.
La domestication : Plusieurs espèces de fourmis se nourrissent du miellat des pucerons, un liquide sucré qu’ils sécrètent. Certaines espèces « adoptent » alors les pucerons, les protégeant des prédateurs, les transportant aux meilleurs emplacements pour se nourrir ou les accueillant même dans la fourmilière (cas des pucerons mangeur de racines). Elles ont donc domestiqué les pucerons.
La prévision du temps : On a observé qu’avant que la pluie n’arrive, les fourmis mettent à l’abri leurs pucerons pour les protéger. Elles sont donc capables de sentir les changements climatiques.
L’esclavagisme : Certaines espèces de fourmis attaquent d’autres fourmilières pour piller les œufs et les larves. Elles ramènent le couvain dans leur propre fourmilière et en prennent soin. Lorsqu’elles naissent, ces fourmis d’espèce différente se mettent naturellement au travail. Quelques espèces sont incapables d’élever leur couvain ou d’aménager leur nid sans leurs esclaves et sont totalement dépendantes d’eux.
La dépendance à la drogue : Aussi surprenant que cela puisse paraitre les fourmis ont leurs drogués. Leur « dealer » n’est autre qu’un coléoptère nommé loméchuse. Sa queue ressemble fortement à une tête de fourmi et c’est son miellat qui rend les fourmis droguées. Dès qu’elles le sentent elles accourent pour l’absorber et une fois qu’elles y ont gouté, leur seul but est d’en avoir plus. Avec cette technique, la loméchuse n’est pas inquiétée dans la fourmilière. La fourmi ne se concentre plus que sur avoir du miellat pendant que le coléoptère fait un festin des couvains ou même de la reine pourtant les habitants les plus précieux. On a même observé des fourmis continuer à sucer du miellat pendant que la loméchuse lui mangeait l’abdomen. La loméchuse sort de la fourmilière après son repas laissant derrière elle des fourmis dépendantes. Celles-ci partent alors à sa recherche oubliant les tâches de sa colonie et errent dans la nature jusqu’à leur mort.
On peut également citer un autre comportement intéressant de la fourmi. Certaines collectent de la résine sèche et l’installe en surface de la fourmilière. La résine contient des éléments qui tuent bactéries et champignons. Lorsqu’une fourmi marche sur la résine elle désinfecte ses pattes. Elles utilisent donc les propriétés médicinales des arbres.
Alors, ces fourmis ne sont elles pas fabuleuses ? Ici nous avons présenté des espèces sud-américaines mais sachez que les fourmis européennes sont tout aussi impressionnantes ! A vos recherches !
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